Immobilier

Location à un hôtelier : le Conseil d’État consacre un régime de TVA unique pour les locaux à usage mixte

10/2025
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Par un arrêt rendu le 8 octobre dernier, le Conseil d’État est venu clarifier le traitement TVA applicable à la location de locaux à un exploitant hôtelier, en consacrant la notion d’opération complexe unique.

Le litige portait sur la location de deux immeubles distincts au même hôtelier : l'un pour l'accueil des clients, l'autre pour le logement du personnel. L'administration fiscale considérait que chaque location devait suivre son propre régime de TVA – soumission pour l'hôtel, exonération pour les logements du personnel.

Contredisant cette analyse, le Conseil d’État a jugé que la mise à disposition de ces deux immeubles constituait une prestation unique. Cette requalification emporte des conséquences majeures sur le régime de TVA et le taux applicables à l'ensemble de l'opération.

Cette décision vient sécuriser les opérateurs qui louent un même immeuble à un hôtelier incluant, au-delà des chambres, des espaces dédiés à d'autres activités (restauration, salles de conférence, spa, etc.), en confirmant qu'un seul régime fiscal doit s'appliquer.

Référence : Conseil d'État, Chambres réunies, 8 octobre 2025, 492157

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I. Les faits : une TVA déduite puis remise en cause par l'administration

Le litige concerne une société bailleresse ayant fait construire un ensemble immobilier à Val-Thorens, exploité par le Club Med. Après l'achèvement des travaux, la société a procédé à des livraisons à soi-même (LASM) en 2016, et a déduit l'intégralité de la TVA d'amont.

Lors d'un contrôle, l'administration fiscale a contesté cette déduction intégrale. En se basant sur une clé de répartition par surface, elle a isolé les locaux servant au logement du personnel. Pour l'administration, cette location était distincte de l'activité hôtelière principale et devait être exonérée de TVA, ce qui justifiait de réintégrer une partie de la taxe déduite.

À l'inverse, le bailleur soutenait que la location des deux types de locaux formait une opération unique et indissociable, dont l'unique objectif était de permettre au Club Med d'exercer son activité. Il s'agissait donc, selon lui, d'une prestation complexe unique entièrement soumise à la TVA.

Après deux décisions de justice en sa défaveur, la société bailleresse a porté l'affaire devant le Conseil d’État, maintenant sa position.

II. La notion d’opération complexe unique

Le principe en matière de TVA est que chaque opération imposable à la TVA est distincte et indépendante et suit son propre régime ; ce que rappelle le I de l’article 257 ter du CGI.

Par dérogation, dans certains cas, les éléments doivent être regroupés en une seule et même opération :

  • lorsque deux ou plusieurs éléments ou actes fournis par l’assujetti sont si étroitement liés qu’ils forment, objectivement, une seule prestation économique indissociable dont la décomposition revêtirait un caractère artificiel. C’est par exemple le cas d’une bouteille d’eau qui comprend le plastique qui la compose, l’étiquette, son liquide et son bouchon ;
  • ou lorsqu’un ou plusieurs éléments doivent être considérés comme constituant l'opération « principale » alors que, à l’inverse, d’autres éléments doivent être regardés comme « accessoires ». C’est par exemple le cas d’une petite figurine cachée dans un paquet de céréales.

Dans une telle hypothèse, l'opération, dans son ensemble, est constitutive d’une opération complexe unique et doit recevoir un traitement fiscal unique, sans qu'il soit possible de procéder à une ventilation entre les différents éléments qui, s’ils étaient appréciés isolément, relèveraient de règles TVA différentes.

Pour identifier une opération complexe unique, il convient de manière successive d’identifier :

  • des éléments étroitement liés ;
  • d’identifier si certains éléments sont accessoires ;
  • de déterminer la nature des éléments principaux (livraison de biens ou prestations de services) pour des besoins de territorialité ;
  • de déterminer le traitement TVA sur cette base. Pour rappel, si deux éléments principaux s’intègrent à une même opération, le taux le plus élevé s’applique. Cela peut également mettre à mal certaines exonérations de TVA.

III. La fin d'une pratique de ventilation des loyers dictée par la prudence

Jusqu'à cette décision, la pratique dominante consistait à conseiller aux bailleurs d'immeubles hôteliers de ventiler leurs loyers en fonction de l'usage des surfaces. Cette approche prudente visait à sécuriser le régime de TVA applicable à chaque partie de l'immeuble.

La méthode était la suivante :

  • Pour les surfaces d'hébergement hôtelier : La location était soumise de plein droit à la TVA au taux réduit de 10 %, conformément aux dispositions du Code Général des Impôts (CGI) relatives aux prestations d'hébergement.
  • Pour les autres surfaces (restaurant, salles de séminaire, logements de personnel) : Ces locaux étaient traités de manière indépendante. Qualifiés de location nue, ils étaient par principe exonérés de TVA (art. 261 D du CGI).

Afin de pouvoir déduire l'intégralité de la TVA payée sur la construction et d'éviter un risque de redressement, il était donc d'usage pour les bailleurs d'opter pour l'assujettissement à la TVA de ces surfaces "annexes". Cette option, si elle sécurisait le droit à déduction, entraînait l'application du taux normal de 20 % sur la fraction de loyer correspondante.

À la lumière de l'arrêt du Conseil d’État, cette construction juridique, complexe et fiscalement moins avantageuse, est désormais obsolète.

IV. Le raisonnement du Conseil d’Etat : la primauté de la finalité économique

Dans sa décision, le Conseil d’État a suivi un raisonnement en deux temps.

Il commence par rappeler la position de principe, partagée par l'administration fiscale et la Cour administrative d’appel. En analysant chaque location de manière isolée, on aboutit à un traitement fiscal distinct :

  • La location de l'immeuble principal, destiné à l'accueil des clients du Club Med, est assimilée à une prestation hôtelière. Elle est donc soumise de plein droit à la TVA en application de l'article 261 D, 4°, c du CGI.
  • La location du second immeuble, affecté au logement du personnel, ne relève pas de ce régime. Considérée comme une location nue à usage d'habitation, elle est par principe exonérée de TVA.

Cependant, dans un second temps, le Conseil d’État opère un renversement d'analyse en se fondant sur l'argument du bailleur. Il rappelle que, conformément à la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE), plusieurs prestations formellement distinctes peuvent, dans certaines circonstances, être considérées comme une opération complexe unique.

A. Les règles applicables

Le Conseil d'État rappelle que, pour déterminer le régime de TVA applicable, il faut éviter de scinder artificiellement une opération qui est économiquement unitaire. Se référant notamment à l'arrêt Frenetikexito (CJUE, 24 mars 2021, C-581/19), il énonce les critères d'identification d'une opération complexe unique :

L'existence d'un lien étroit : Les différents éléments fournis par le prestataire doivent être si étroitement liés qu'ils forment, objectivement, une seule prestation économique indissociable du point de vue du client.

L'identification de l'élément principal et de l'élément accessoire : Une fois l'opération unique caractérisée, il faut déterminer quelle prestation est principale et laquelle est accessoire. Une prestation est considérée comme accessoire lorsqu'elle ne constitue pas pour le client une fin en soi, mais le moyen de bénéficier dans les meilleures conditions du service principal. Des indices comme sa valeur, souvent minime ou marginale par rapport à l'ensemble, peuvent conforter cette analyse.

B. L’application des principes au cas d’espèce

Fort de cette grille d'analyse, le Conseil d’État a appliqué ces principes aux faits :

  • Une finalité économique unique : Le juge a estimé que la location des deux immeubles poursuivait un seul et même objectif pour le Club Med : permettre l'exploitation d'un village de vacances. Il a par ailleurs relevé que les conditions du bail ne permettaient pas au locataire de renoncer à une partie des locaux, ce qui renforçait le caractère indissociable de l'ensemble.
  • La censure de l'erreur des juges du fond : Le Conseil d’État a ainsi invalidé le raisonnement de la Cour d’appel, qui avait considéré que l'hébergement des salariés avait une finalité distincte. Les juges du fond avaient commis une erreur en analysant la finalité de l'opération du point de vue des activités multiples du locataire, alors qu'il fallait se placer au niveau de la prestation globale fournie par le bailleur.
  • La qualification d'une prestation principale et d'une prestation accessoire : En conséquence, le Conseil d'État a jugé que :
    • La location de l'immeuble principal (le village de vacances) constituait la prestation principale, soumise à la TVA.
    • La location de l'immeuble destiné au personnel, qui ne représentait qu'une part minime du loyer total, était la prestation accessoire. En tant que telle, elle devait suivre le régime fiscal de la prestation principale, et être également soumise à la TVA.

Le bailleur était donc fondé à déduire l'intégralité de la TVA d'amont sur l'ensemble du projet immobilier.

IV. Portée et implications pratiques de la décision

Cet arrêt du Conseil d’État n'est pas une simple décision d'espèce. Il redéfinit les règles applicables à la location d'immeubles à usage mixte et emporte des conséquences pratiques majeures.

  • La fin du dogme de l'analyse "surface par surface" : La principale leçon est que la théorie de l'opération complexe unique s'applique pleinement en matière de baux immobiliers. Il ne faut plus raisonner de manière isolée pour chaque local, mais adopter une approche économique globale lorsque les différentes surfaces servent une finalité unique et sont indissociables pour le locataire.
    En pratique, l’administration admettait déjà ce point dans certains cas de manière implicite : par exemple, elle n’acceptait pas qu’au titre d’un même bail, certaines surfaces soient soumises à la TVA sur option alors que d’autres n’étaient pas soumises à la TVA (voir les questions parlementaires en lien avec les suites de l'arrêt EMO).
  • La sécurisation des montages hôteliers : La décision met un terme à la pratique, source de complexité et de surcoût fiscal, qui consistait à ventiler les loyers d'un hôtel entre les chambres (TVA à 10%) et les autres espaces (souvent soumis à la TVA à 20% sur option). L'ensemble de la location peut désormais être soumis à un régime de TVA unique et à un taux unique.
  • Une incitation à l'audit des baux existants : Cet arrêt invite les bailleurs à revoir les contrats de location présentant des régimes de TVA mixtes (exonération partielle, application de taux différents). Une requalification en opération complexe unique pourrait permettre de simplifier la gestion, d'optimiser la charge de TVA et de sécuriser les droits à déduction.

En somme, le Conseil d’État privilégie la réalité économique sur le formalisme juridique, offrant une sécurité bienvenue aux opérateurs immobiliers.

V. Les questions laissées en suspens par la décision

Si cet arrêt clarifie la position du bailleur, il laisse en suspens deux questions majeures dont les praticiens devront se saisir.

1. Quel taux de TVA pour l'opération unique ?

La conséquence logique de la qualification d'opération unique est l'application d'un taux de TVA unique. La prestation principale étant la location à un exploitant hôtelier, le taux réduit de 10 % devrait s'appliquer à l'intégralité du loyer, y compris à la fraction accessoire concernant les logements du personnel. Bien que favorable au locataire, ce point n'est pas explicitement tranché par l'arrêt et pourrait faire l'objet de futures discussions avec l'administration.

2. Quid du droit à déduction pour le locataire (Club Med) ?

La question la plus sensible est sans doute celle du droit à déduction de la TVA pour le preneur. Pour rappel, l’article 206 de l’annexe II du CGI prévoit un coefficient d’admission de 0 en cas de dépenses en lien avec l’hébergement des salariés. Comment cette mesure devra être appliquée à l’avenir ? Cela nécessite-t-il un reversement par le biais d’une prestation à soi-même ?

Ce point fera très probablement l'objet de contentieux futurs.

Annexe : raisonnement du Conseil d'Etat

Pour information, nous reproduisons ci-dessous l’analyse opérée par le Conseil d’Etat :

"Il résulte des dispositions de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), que, lorsqu'une opération économique est constituée par un faisceau d'éléments et d'actes, il y a lieu de prendre en compte toutes les circonstances dans lesquelles elle se déroule aux fins de déterminer si l'on se trouve en présence d'une ou de plusieurs prestations ou livraisons. Chaque prestation ou livraison doit en principe être regardée comme distincte et indépendante.

Toutefois, ainsi que l'a précisé la CJUE dans son arrêt du 24 mars 2021, Frenetikexito, aff. C-581/19, l'opération constituée d'une seule prestation sur le plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la TVA.

  • a) A cet égard, il existe une prestation unique lorsque plusieurs éléments ou actes fournis par l'assujetti au client sont si étroitement liés qu'ils forment, objectivement, une seule prestation économique indissociable. Pour caractériser une telle opération complexe unique, il convient d'identifier les éléments caractéristiques de l'opération en cause, en se plaçant du point de vue du consommateur moyen. Le faisceau d'indices auquel il est recouru dans ce but comprend différents éléments :
    • i) les premiers, d'ordre intellectuel et d'importance décisive, visant à établir le caractère indissociable ou non des éléments de l'opération en cause et sa finalité économique, unique ou non,
    • ii) les seconds, d'ordre matériel et n'ayant pas une importance décisive, venant, le cas échéant, au soutien de l'analyse des premiers éléments, tels que l'accès séparé ou conjoint aux prestations en cause ou l'existence d'une facturation unique ou distincte.
  • b) Il résulte par ailleurs de cette jurisprudence qu'une opération économique constitue une prestation unique lorsqu'un ou plusieurs éléments doivent être considérés comme constituant la prestation principale, alors que d'autres doivent être regardés comme une ou des prestations accessoires partageant le sort fiscal de la prestation principale :
    • i) A cet égard, un premier critère à prendre en considération est l'absence de finalité autonome de la prestation du point de vue du consommateur moyen. Ainsi, une prestation doit être considérée comme accessoire à une prestation principale lorsqu'elle constitue pour la clientèle non pas une fin en soi, mais le moyen de bénéficier dans les meilleures conditions du service principal du prestataire.
    • ii) Un second critère, qui constitue en réalité un indice du premier, tient à la prise en compte de la valeur respective de chacune des prestations composant l'opération économique, l'une s'avérant minime, voire marginale, par rapport à l'autre.

2) Dispositions des a et c du 4° de l'article 261 D du code général des impôts (CGI) prévoyant que la location par bail commercial de locaux meublés à l'exploitant d'un village de vacances est assimilable à une activité hôtelière soumise à la TVA, mais qu'en revanche, une telle location est exonérée de TVA lorsque les locaux sont destinés par le preneur au logement de ses employés. Société ayant conclu un bail commercial portant sur la location de deux immeubles, un immeuble A destiné à accueillir un village de vacances et comprenant des chambres pour le logement du personnel, et un immeuble B entièrement dédié au logement du personnel du village de vacances :

  • a) Ensemble des locaux de l'immeuble A concourant, du point de vue du preneur des locaux, à la même finalité économique, consistant en l'exercice d'une activité d'exploitation d'un village de vacances. Bail portant sur la location de l'ensemble des locaux sans distinction entre chambres à destination des vacanciers et chambres à destination du personnel et sans que ces dernières ne donnent lieu à un loyer distinct de celui prévu pour l'ensemble de l'immeuble. Dans ces conditions, la location des chambres à destination du personnel doit être regardée comme une prestation indissociable de la location des chambres à destination des vacanciers. Par suite, la location de l'immeuble A constitue une opération complexe unique, soumise à la TVA en application des dispositions combinées des a et c du 4° de l'article 261 D du code général des impôts.
  • b) Du point de vue du preneur des locaux, prise en location de locaux meublés dans l'immeuble B destinés au logement de son personnel à proximité immédiate du village de vacances constituant un moyen de bénéficier dans de meilleures conditions de la prestation consistant dans la prise en location des locaux destinés à accueillir le village de vacances lui-même. Prestation consistant dans la location de l'immeuble B représentant par ailleurs en l'espèce une part minime dans le loyer total prévu par le bail pour la mise à disposition de l'ensemble constitué par les deux immeubles. Dans ces conditions, la location de l'immeuble B constitue une prestation accessoire non indépendante de la location de l'immeuble A et doit, dès lors, être elle aussi soumise à la TVA."

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