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L'arrêt rendu ce 13 novembre 2025 par la CJUE dans l'affaire FLO VENEER (C-639/24) apporte un éclairage sur l'articulation entre l'article 138, paragraphe 1, de la directive TVA et l'article 45 bis du règlement d'exécution n° 282/2011.
La Cour était interrogée sur le caractère exclusif ou non des preuves listées par ce règlement. En réaffirmant que l'article 45 bis ne crée qu'une présomption et non une liste exhaustive de preuves, la Cour borne le pouvoir de l'administration et sécurise la pratique de certains Etats, comme la France, qui prévoit que la preuve est libre.
Un litige fiscal croate actuellement porté devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) vient conforter la pratique française applicable en matière de livraisons intracommunautaires. La question posée est simple : l’administration fiscale peut-elle refuser une exonération de TVA pour des motifs purement formels, alors même qu’elle reconnaît que la livraison intracommunautaire a bien eu lieu ? La liste de documents prévue à l'article 45 bis du Règlement est-il une liste exhaustive obligatoire ?
Le litige oppose la société croate FLO VENEER, active dans le commerce de biens, au ministère des Finances croate (Ministarstvo financija).
Lors d’un contrôle portant sur le premier trimestre 2020, l’administration a examiné plusieurs opérations de vente intracommunautaire réalisées par FLO VENEER à un client établi en Slovénie. Ces opérations avaient été facturées en exonération de TVA conformément à l’article 138 de la directive TVA.
Pour justifier cette exonération, la société avait communiqué :
Le 8 octobre 2020, l’administration fiscale croate a émis un avis d’imposition réclamant la TVA sur les opérations en cause.
Point majeur : l’administration ne conteste pas que les biens ont été transportés de Croatie vers la Slovénie.
Son refus d’exonération repose exclusivement sur une lecture particulièrement stricte des règles : malgré la documentation fournie, elle estime que les conditions permettant de bénéficier de l'exonération n’étaient pas pleinement satisfaites dès lors que les conditions de présomptions prévues à l'article 45 bis n'étaient pas remplies.
Après le rejet de sa réclamation, FLO VENEER a saisi le tribunal administratif de Zagreb.
Conformément à l’article 138 de la Directive 2006/112/CE (ci-après « Directive TVA ») transposé en France à l'article 262 ter du CGI, les livraisons de biens expédiés depuis un Etat membre vers un autre Etat membre sont exonérées de TVA sous les conditions suivantes :
Le règlement n°2018/1912 a introduit un nouvel article 45 bis dans le règlement d’exécution n°282/2011 qui précise les preuves documentaires qui doivent être détenues par le fournisseur afin de justifier du transport intracommunautaire des marchandises et donc de l’application de l’exonération prévue par l’article 262 ter I du CGI.
Ce règlement prévoit une règle de présomption simple de transport : sous réserve d’être en possession des combinaisons de documents prévus à l’article 45 bis, l’assujetti est en droit de bénéficier de l’exonération de TVA. Cependant, l’administration fiscale peut remettre en cause cette exonération en démontrant que :
Les règles de preuve diffèrent selon que le vendeur ou l’acheteur est en charge du transport des biens.
Si le vendeur est en charge du transport, il devra détenir :
Si l’acheteur est en charge du transport, le vendeur devra détenir une attestation de l’acquéreur confirmant la réception des biens, qui doit être fournie au vendeur dans les 10 jours suivants la livraison et les mêmes preuves que dans l'hypothèse où le vendeur est en charge du transport.
Il est à noter que l’ensemble des éléments de preuve rapportés doivent émaner de deux parties différentes qui sont tout à la fois indépendantes l’une de l’autre, du vendeur et de l’acheteur. Dans ce cadre, les documents ne doivent pas être uniquement communiqués par le seul transporteur mais a minima un autre tiers indépendant (prestataire en charge du chargement, banque, …).
Selon la position française (confortée par la décision de la CJUE lorsqu'un assujetti ne dispose pas des éléments de preuve prévus par le règlement, la présomption ne s’applique pas. Dans ce cadre, l’assujetti devra prouver le transport intracommunautaire par tout moyen.
Ainsi, conformément à la doctrine administrative (BOI-TVA-CHAMP-30-20-10, paragraphes 50 et suivants), les moyens de preuve peuvent être directs ou indirects. Il peut ainsi s’agir des documents commerciaux ou de transport usuels :
Cette liste est non exhaustive et ne constitue pas une liste opposable à l’administration fiscale au sens de l’article L.80 B du Livre des Procédures Fiscales (CE, 1 juillet 2009, n°295689, 9e et 10e s.-s., SARL Alain Palanchon).
Devant le tribunal, FLO VENEER soutient une position basée sur le principe de neutralité fiscale et la jurisprudence de la CJUE (notamment l'arrêt Euro Tyre de 2010).
L'argument de la société est le suivant :
Puisque l'administration fiscale admet elle-même que ce transport a eu lieu, refuser l'exonération sur un vice de forme violerait le principe de neutralité fiscale.
Le cœur du raisonnement de la Cour repose sur une analyse textuelle simple.
La Cour souligne que le texte énumère les cas où le transport "est présumé" avoir eu lieu. Il n'indique nulle part que ces documents sont les seuls moyens de preuve acceptables. Par conséquent, si un assujetti ne remplit pas les conditions pour bénéficier de cette présomption (par exemple, il lui manque un document de la liste), il ne perd pas son droit à l'exonération.
Il conserve le droit de prouver, par une appréciation globale de tous les éléments de preuve en sa possession, que la condition de fond (le transport) a bien été remplie. L'administration fiscale, de son côté, a l'obligation d'examiner ces autres preuves.
Refuser l'exonération à une entreprise au seul motif qu'elle ne rentre pas dans le cadre de cette présomption, alors même qu'elle peut prouver la réalité de la livraison par d'autres moyens, serait un contresens. Comme le souligne la Cour, cela "remettrait en cause l'objectif visant la promotion des échanges intracommunautaires".
La Cour s'appuie solidement sur sa jurisprudence constante, notamment l'arrêt Euro Tyre (C‑430/09 du 16 décembre 2010). Cet arrêt avait déjà établi que le principe de neutralité fiscale exige que l'exonération soit accordée si les conditions de fond sont satisfaites, "même si certaines exigences formelles ont été omises".
La perte du droit à l'exonération pour un motif de forme est une exception qui ne peut s'appliquer que dans deux cas très stricts :
Dans l'affaire croate, ce deuxième point est crucial. Non seulement l'absence des documents de l'article 45 bis n'empêchait pas de prouver le transport, mais l'administration fiscale avait elle-même admis que les biens avaient été transportés ! Le refus d'exonération était donc indéfendable.
Cette décision, bien que rendue sur une affaire croate, a une résonance directe en France.
L'article 262, ter du CGI est la transposition française de l'article 138 de la Directive TVA. Il pose le principe de l'exonération des livraisons intracommunautaires. La manière de prouver ces livraisons est, elle, détaillée dans la doctrine administrative (BOFIP-TVA-CHAMP-30-20-10).
La doctrine française, avant même l'introduction de l'article 45 bis, reconnaissait déjà que la preuve du transport pouvait être apportée "par tout moyen". L'article 45 bis a été intégré dans le BOFIP comme une présomption, une voie sécurisée, mais pas comme une voie exclusive.
Il convient donc d'en retenir :
En conclusion, la Cour de Justice de l'UE envoie un message clair : la présomption de l'article 45 bis est un bouclier pour le contribuable, elle ne peut être retournée contre lui par l'administration fiscale de l'Etat membre.
Sans venir chambouler la pratique française, elle permet aux opérateurs d'espérer la même interprétation dans toute l'UE.
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Avocat associé
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