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Le 27 juin 2025, la Cour administrative d’appel (CAA) de Paris a rendu un arrêt instructif en matière de demande de remboursement de crédit de TVA pour les assujettis non établis en France (Cour administrative d'appel de Paris, 9ème Chambre, 27 juin 2025, 23PA03373). Cette décision, Sté Abo Wind AG c/ Ministère de l’Economie, met en lumière les risques liés à une erreur de procédure, notamment en matière de délais.
Elle rappelle que les opérateurs établis à l’étranger doivent accorder une attention particulière au moment du dépôt d’une demande de remboursement de TVA : la qualification des opérations réalisées ainsi que l’identification correcte du redevable de la taxe sont déterminantes pour le choix de la procédure applicable.
En cas d’erreur, une perte irrémédiable du droit à remboursement peut en résulter.
La Société Abo Wind AG, société de droit allemand, développe des projets dans le domaine des énergies renouvelables. Elle réalise des prestations de service (cessions de droits au titre de la conception de projets de parcs éoliens) relevant du régime général de territorialité de la TVA au profit de sa filiale française (Article 44 de la Directive 2006/112/CE).
La Société n’aurait pas dû, en application du mécanisme d’autoliquidation, facturer de la TVA sur ces prestations : la TVA a donc été facturée à tort par la société. Or, toute TVA facturée à tort est en principe due conformément à l’article 283 3 du CGI.
Afin de bénéficier du remboursement de son crédit de TVA, s’élevant à plus de 4 millions d’euros au titre du quatrième trimestre de 2018, la société allemande s’est identifiée en France et a déposé, le 16 janvier 2019, une demande de remboursement de ce crédit en se fondant sur la procédure domestique prévue à l’article 271 IV du CGI régissant les demandes de remboursement des crédits de TVA pour les assujettis établis en France (procédure dite de la 6ème Directive) : en d’autres termes, la procédure offerte par l’intermédiaire de la CA3 et de son annexe valant demande de remboursement.
Or, l’administration a considéré que la société aurait dû emprunter la voie prévue pour les assujettis étrangers non établis et non immatriculés, en vertu des articles 242-0 M et suivants de l’annexe II au CGI transposant la directive 2008/9/CE (procédure dite la 8ème Directive), qui impose un dépôt de demande de remboursement de crédit de TVA via l’administration fiscale de l’Etat membre d’établissement avant le 30 septembre de l’année suivant la période sur laquelle porte la demande de remboursement, à peine de forclusion.
L’administration fiscale avait rejeté sa demande le 16 octobre 2019, rejet qui a été confirmé par le Tribunal Administratif de Paris le 28 mars 2023. La société a interjetté appel de ce jugement.
La société soutenait qu’elle pouvait bénéficier de la procédure domestique de remboursement des crédits de TVA, dès lors qu’elle effectuait des opérations imposables en France.
Fait intéressant, au titre de sa défense, la Société a soulevé de manière subsidiaire qu'elle était bien redevable de la TVA en France : en effet, du fait de son erreur de facturation, elle avait facturé de la TVA à tort qu'elle devait reverser à l'Etat français.
Elle faisait également valoir que :
La société demandait le renvoi de questions préjudicielles à la Cour de Justice de l’Union européenne.
La Cour rejette l'argumentation de la société.
Dans un premier temps, elle rappelle à la Société allemande que les prestations réalisées ne relevaient pas de la règle dérogatoire de territorialité en lien avec les immeubles (Article 259 A du CGI) mais en réalité à la règle de principe prévue à l'article 259 du CGI transposant l'article 44 de la Directive TVA. Par conséquent, la Société ne réalisait pas d'opérations territorialement localisable en France mais de simples prestations de services internationales soumises au mécanisme d'autoliquidation internationale.
Dans un second temps, la Cour rappelle que :
La Société faisait valoir, par l’intermédiaire de son conseil, qu’elle avait été redevable de la TVA en raison d’une erreur de facturation. La Cour écarte toutefois cet argument, en rappelant que la réglementation énumère limitativement les opérations qui sont prises en compte pour exclure un opérateur étranger du bénéfice de la procédure de remboursement prévue par la 8ᵉ directive. L’analyse doit ainsi être conduite sur un plan technique, et non factuel. En l’espèce, l’opération concernée relevait du mécanisme d’autoliquidation prévu à l’article 283, II du CGI. Le fait que l’opérateur ait facturé à tort la TVA, et que cette erreur entraîne, selon le droit interne, le versement de la TVA (article 283 3 du CGI), est sans incidence sur l’appréciation du droit au remboursement.
En conséquence, la Cour considère qu’une société non établie en France, mais dans un autre Etat membre de l’Union européenne, doit nécessairement et uniquement déposer sa demande de remboursement de crédit de TVA via la procédure dérogatoire prévue aux articles 242-0 M à 242-0 Z ter de l’annexe II au CGI dans le délai de forclusion prévu.
La Cour considère à juste titre enfin qu’il n’y a pas lieu de renvoyer de questions préjudicielles à la CJUE.
La Cour fait une application d’une jurisprudence constante du Conseil d’Etat (notamment CE 9e-10e s.-s. 27/05/2009, n°308471, SA Lurgi) selon laquelle la procédure prévue pour les assujettis étrangers est exclusive : ils ne peuvent pas opter pour la procédure nationale.
Elle fait également application d’une continuité jurisprudentielle communautaire considérant que le délai prévu en matière de remboursement de la TVA aux assujettis européens non établis dans l’Etat où la taxe est due, pour la présentation d’une demande de remboursement de la TVA, est un délai de forclusion (notamment CJUE, 21 juin 2012 aff. 294/11, 5e ch., Ministero de l’Economia e delle Finanze c/ Elsacom NV). Ce délai n'est pas contraire au principe de neutralité de la TVA.
Dans l’arrêt en cause, la Société a procédé à une analyse erronée des opérations réalisées :
Par conséquent, l’analyse préalable de la nature des opérations revêt un caractère déterminant. Il est en outre indispensable de vérifier, pour déterminer la procédure de remboursement applicable, que l’opérateur étranger réalise une opération ouvrant droit à déduction, et pour laquelle aucun des deux premiers alinéas de l’article 283 du CGI n’est applicable. À défaut, la procédure domestique de la 6ᵉ directive ne saurait trouver à s’appliquer.
Faute d'opérations domestiques réalisées et pour lesquelles l'opérateur serait redevable de la TVA (ou exonérée par exemple avec des livraisons intracommunautaires), l'opérateur doit déposer sa demande à travers son Etat membre d'établissement.
Une erreur de facturation de la TVA ne saurait permettre à l'opérateur d'invoquer qu'il est redevable de la TVA.
Afin de demander un remboursement de crédit de TVA en France, les assujettis établis dans un autre Etat membre de l’UE doivent :
Attention, ce n’est qu’à compter de la communication de toutes les informations requises que la demande est réputée être introduite.
L’Etat membre d’établissement doit alors vérifier la qualité d’assujetti du demandeur avant toute transmission à l’administration fiscale française qui doit se faire dans un délai de 15 jours civils à compter de la réception de la demande.
Cette affaire illustre la vigilance que les assujettis doivent apporter à la territorialité de leurs opérations, qui conditionne le régime TVA à appliquer et le redevable de la taxe.
Les assujettis doivent ainsi faire attention à appliquer la bonne procédure de remboursement de crédit de TVA au risque de perdre du temps et d’être forclos, alors que le principe du crédit de TVA ne fait l’objet d’aucun débat.
L’arrêt CAA Paris, 27 juin 2025, illustre la rigueur à attacher à la procédure de remboursement de crédit de TVA pour les assujettis européens non établis en France. Une erreur de procédure, même en cas de crédit de TVA incontestable, peut faire obstacle au remboursement.
Il convient donc de s'assurer du traitement TVA des opérations réalisées en France puis, sur cette base, de déterminer la procédure applicable.
Une erreur pourrait coûter cher aux opérateurs étrangers.
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